XIII. L'année rituelle

 
Les manifestations de joie débutent au mois de novembre, le jour où l'on égorge un mouton pour préparer le kaourma qui remplace souvent l'huile d'olive, la viande et le beurre.

Le mouton est entretenu depuis août ou septembre. On le nourrit de force pour l'engraisser au maximum. C'est aux jeunes filles et à la femme qu'incombe le soin de le laver durant les journées chaudes et de lui mélanger le son aux feuilles du mûrier.

Vers la mi-novembre les villageois tuent ce mouton. Deux ou trois jours à l'avance, on invite ses parents et ses amis, car cet événement prend les allures d'une cérémonie.

Le mouton est tué à la maison et non pas à l'abattoir. C'est généralement le maitre de la maison qui l'écorche et le prépare. Les invités sont réunis autour des tables basses et rondes. La viande est coupée. Les meilleurs morceaux sont mangés crus: la boisson très forte qu'est l'arsk, aide à ouvrir l'appétit. Les bas morceaux avec tout ce qui est gras, sont désossés, hachés finement et mis dans des casseroles sur un feu ardent. La cuisson dure plusieures heures, jusqu'à ce que le tout soit à moitié liquéfié.

Cette préparation est mise dans des urnes spéciales en terre cuite où, bien salée, elle se conserve très longtemps. Elle sert à agrémenter les mets. Par rapport à l'Europe, elle remplace le jambon, les saucisses et tous les aliments de ce genre. Pour les Hadethins, elle tient lieu d'huile d'olive à certains repas et de beurre à certains autres. De temps en temps, quand la maman est très occupée, cette viande, le kaourma, est mangée en tartine par les enfants avant d'aller à l'école.

La préparation de ce mouton inaugure la saison des joies et des veillées communes. Les gens d'un même quartier s'invitent mutuellement et la coutume veut que chacun attende son tour. Il faut que tout le monde soit libre afin de participer à la fête: car c'est une veritable réjouissance. Les danses et les chants font moins de tapage, il est vrai, que ceux qui marqueront les autres fêtes de l'année. Mais, tout de même, ce sont de véritables manifestations communes de joie.

Le sens de cette cérémonie n'est-il pas celui d'une fê;te familiale on religieuse antique, assimilée par le christianisme et la société chrétienne? Ce serait, sans doute, la féte qui marquait dans l'antiquité palenne la fin des moissons et des récoltes. Jusqu'à présent, les villageois, à la fin de chaque moisson, se féficitent mutuellement et se solihaitent des années d'abondance det de prospérité, réservant une joie plus grande à la fin de tous les travaux.

Entre ces fêtes et le carnaval,1 il ne se passe rien d'important dans la vie du village: soirées de danses folkloriques, de jeu de cartes, de chants populaires, des histories racontées par des gens qui lisent les Mille et une Nuits. La journée se passe à balayer la neige de la terrasse, à <<rouler>> cette dernière à l'aide du cylindre calcaire,2 à faire des batailles bien organisées à coups de boules de neige; les jeunes filles re�oivent les meilleures boules!...

Le carnaval de la montagne est un événement qu'on attend toute l'année. Il ne dure que huit jours, juste la semaine qui précède le carême. Cependant la vie y est autrement plus intense que durant les autres semaines de l'année. On dirait que le temps change de qualité pour ces villageois. Les travailleurs des champs que la neige a forcés à se reposer, ont pris un potentiel d'énergie physique qui les dote d'un dynamisme spécial.

Si les orgies étaient permises dans ce milieu d'innocence primitive, tout le monde s'y livrerait à c�ur joie, et sans remonds. Le carême qui approache et qui durera quarante jours, pendant lesquels on ne pourra ni se marier ni se livrer aux plaisirs habituels de la vie, met tout le monde en branle.

Le célibataire ne trouvera jamais meilleur temps pour se marier. Maintenant il est relativement riche et sa récolte lui permet de franchir le cap de l'hiver. Sa fiancée a eu le loisir de se faire un trousseau pendant les semaines qui se sont écoulées depuis le début de novembre.

Lui-même a pu arraner sa maison. Il a devant lui les longs mois de l'hiver. L'instinct lui commande de les passer en bonne compagnie. Ses amis, ses parents, et même ses connaissances, ont le temps, de venir participer à ses noces, de boire et de danser à son bonheur. Se marier au cours du carnaval donne l'impression, très réconfortante, que toute la joie du village n'est qu'un écho de celle des mariés.

De tout temps, nous dit-on, le mariage villageois était l'occaision d'une série de traditions qui remuaient toute la vie du bourg. En nous permettant une digression à travers l'histoire locale, nous offrons au lecteur une image qui s'estompe rapidement.

D'après les vieilles coutumes de la montagne, c'etaient les parents qui choisissaient l'épouse et allaient la demander à sa famille. Le jeune homme, par respect, devoir et obéissance, ne pouvait refuser sans choquer les sentiments de l'entourage et susciter une grande réprobation sociale.

Quel fut notre étonnement quand, après enquête, nous avons découvert que la vérité était à l'opposé de cette prétendue coutume!. Aucune femme, ni aucun homme, de la plus ancienne génération du village, n'ont été mariés de cette façcon. Ni leur père ni leur mère ne s'eétaient vu imposer par leeurs parents un choix catégorique.

Chacun croyait qu'il avait été l'unique exception...

<<Moi.>> nous confie le vieux H., <<quand j'avaois choisi mon épouse, S., elle n'avait que dix ans. Nous nous rencontrions à la campagne, en faisant paître les vaches de nos parents. J'ai attendu trois ans qu'elle soit en âge de se marier. Je lui avais offert un mouchoir de soie naturelle qu'elle portait toujours sur le c�ur. Elle avait coupé une mèche de sa belle chevelure noire que j'avais suspendue à mon cou à l'aide une chaîne d'or, comme une sainte relique.

<<Mon père et ma mère me parlaient souvent de telle on telle de nos jeures filles. Je répondais que j'avais envie de devenir moine et que j'allais entrer dans les ordres dès que mes plus jeunes frères seraient en âge de servir mes parents...

La famille de S. voulait absolument la donner en mariage à Mr. L. qui était son aîné de vingt zins. L. était plus riche que moi. Il avait passé dix ans en Amérique. Vous pernsez si S. a pleuré et passé des nuits sans sommeil! Imaginez-vous que ses parents l'ont enfermée plusieurs mois à la maison. Nos familles ne se parlaient pas et il devenai impossible de nous voir. Mais, grâce à l'amabilité de sa s�ur cadette, nous pouvions nous dire notre fidélité. La petite avait remplacé sa s�ur pour mener la vache à la campagne. J'ai dû la gagner à notre cause en lui apportant, tous les jours, quelques friandises...

<<Le père de S. menaçait de la tuer, de l'enfermer au couvent si elle ne consentait pas à épouser L., qui promettait de tirer la famille de la gêne en aidant le frère aîné à ouvrir une boutique, sur la place du village, face à M.D. afin de le concurrencer...

<<S. préextait qu'elle était très jeune et qu'elle voulait bien aller s'enfermer au couvent pur sauver son âme et prier pour ses aimables parents.

<<Vous savez, il me prenait une folle envie de planter quelques coups de poignard dans les côtes de ce commerçant de L. Mais, heureusement pour lui, j'en ai parlé un jour à S. qui m'en a fortement détourné. Elle était intelligente et bien sage pour son jeune âge...Qu'aurait été notre vie si j'avais exécuté mon projet? Et nos huit enfants, tous pères et mères de famille maintenant? S. me faisait dire: <<La patience nous sauvera.>> Nous avons patienté et nous avons gagné.

<<J'ai été prier un jour l'église pour trouver une solution à notre problème. J'en ai mémie parlé à notre vieux curé, mais au confessionnal pour qu'il ne lui fût pas possible d'en divulguer le secret. C'était vraiment un saint homme.

<<Le surlendemain était un dimanche: touchant sermon sur les méfaits de la rancune entre les familles. Trois dimanches de suite, même sujet. Jamais curé n'avait parlé si bien et n',,ivait en d'aussi bons effets sur ses ouailles...Le village entier devint comme une seule famille. Le vieux prêtre a pu alors chasser de la tête du père de S. la pensée d'obliger sa fille à épouser le <<vieil>> Américain qui pouvait avoir contracté des maladies vénériennes avant de revenir chez lui...Il a ensuite suggéré mon nom, tout en feignant de me tendre un piège pour que mes parents et moi venions solliciter, à genoux, la main de S....

<<Le vieux prêtre avait la parole convaincante. Il a fait croire à nos deux familles que c'était lui-même qui voulait notre mariage et qu'il allait, avec la grâce de Dieu, nous amener à penser l'un à l'autre ...

<<Figurez-vous que le père de S. est allé jusqu'à acheter à sa fille le meilleur trousseau de son temps et que mon père, pour men cadeau de mariage, m'a autorisé à comniander à Tripoli, le plus beau costume que jamais jeune homme de Hadeth n'avait porté.>>

L'exemple du vieux H. est on cas commun à Hadeth, que ce soit parmi la génération de sort âge ou parmi les jeunes de nos jours.

Si les parents ne sont pas d'accord, il y a mille et mille moyens de les convaincre: la bonne volonté d'une personne de confiance, l'entêtement franc des jeunes gens qui se sent choisis, le depart secret et le mariage chez l'archevêque du diocèse avec la connivence du curé de la paroisse à l'extrême limite.

Il y a même des parents qui, tout en souhaitant l'union, réservent leur consentement et désapprouvent leurs enfants afin que ces derniers soient poussés à aller, avcc le moins de gens possible, contractor un mariage secret sans cérémonie de noces, ni formalités officielles, ni banquet, ni dépenses exagérées.

De mauvaises langues prétendent même que de tels faits ont été concertés, par avarice, entre les familles de certains couples du village...Ce n'est pas invraisemblable. Il est des budgets qui ne permettent aucune dépense inconsidérée. Le mariage villageois normal est vraiment coûteux!

Malgré la simplicité de la vie à la montagne, les préparatifs du mariage et les cérémonies traditionnelles sont d'une strange complexité.

Le prétendant qui ne passet-ait chez la bien-aimée plusieurs soirées par semaine, prolongées fort tard dans la nuit, serait taxé d'indifférence et d'apathie. Il doit s'arranger pour se faire accompagner par des camarades qui l'aident à passer le temps d'une façon agréable. Il ne peut jamais, s'il tient à sa dignité, venir les mains vides. Ses futurs parents doivent, par convenance, lui reprocher ses largesses injustifiées.

De leur côté, ils sont tenus à faire, chaque fois, les honneurs de la maison: arak, friandises, petites collations, café, cigarettes, et quelquefois retenir leurs hôtes au repas.

La future mariée doit être attentive et répondre au moindre geste de ses invités: un tel veut boire et remue les 1èvres discrètement en les essuyant du bout de la langue. Celui-ci veut une cigarette, ou du feu pour l'allumer, tout cela doit être deviné au moment opportun.

La jeune fille qui ne sait pas s'apercevoir de ces multiples subtilités est qualifiée d'inintelligente, de paresseuse, d'avare! Son prétendant risque d'entendre désapprouver son choix et louer celui d'un autre...ami...ou rival...

Parallèlement à ce comportement visible, il y a les séries camouflées des va-et-vient pour régler les détails matériels des accords.

La fille est-elle de même âge que le garçon? Petite de taille? Pas belle? Pauvre vieillotte! Son père doit la faire accompagner d'un trousseau bien fourni, d'une forte somme d'argent, ou inscrire en son nom tel ou tel morceau de la propriété!

De plus, on a ses idées sur l'hérédité morale et physiologique, au village! Les oncles et les tantes maternels transmettent leurs défauts à leurs neveux et nièces! Cela aussi est à compenser par les générosités des parents de la future mariée qui aurait des frères on s�urs tarés!

Le jeune homme est-il un peu riche et visiblement trop amoureux pour pouvoir échapper aux filets de Vénus? Est-it trop vieux pour sa fiancée? A-t-il un défaut physique quelconque? Les parents lui font payer cher leur charmante poupée. Cent mille francs pour payer le voyage du frère cadet en Amérique, deux cent mille pour compléter le trousseau, cinquante mille pour refaire le toit de la maison, soixante-dix pour acheter une paire de vaches...

Tout est, littéralement, mais discrètement, soumis à l'éternelle loi de l'offre et de la demande, conjuguée avec les moyens d'action des personnes en présence. Coutumes et traditions ne règlent, finalement, rien en dehors des gestes destinés à être vus du public.

D'ailleurs, ce public, en tant que collectivité, impose ses lois traditionnelles auxquelles les villageois, pris individuellement, n'attachent aucune espèce de valeur ou d'importance.

La veille de la journée du marriage, un groupe de jeunes gens des deux familles fait le tour du village pour inviter à la cérémonie. D'habitude, les gens viennent passer la soirée l'un chez l'épouse, l'autre chez l'époux, avec les va-et-vient d'un domicile à l'autre. Ils boivent, mangent, dansent, chantent, déchargent leurs pistolets et fusils, se livrent à des jeux d'adresse ou de force jusqu'à minuit.

Le lendemain, la frénésie reprend, plus vive, jusqu'à atteindre son paroxysme vers 15-16 heures, où commencent, parallèlement, les actes qui font partie de la cérémonie proprement dite.

Le futur époux est entouré de ses amis les plus intimes et les plus dévoués. Pendant que le coiffeur, amené à la maison, lui fait la barbe, obligatoirement en friche depuis trois jours, la jeunesse, à pleins poumons et en ch�ur, pousse des cris de joie et tire des salves de pistolets, fusils et carabines.

Dans la maison de l'épouse on doit se montrer digne d'un tel vacarme joyeux, signalant par là que la belle est, entourée de ses propres amies, entre les mains de la peigneuse.

Quelques instants aprés, un autre dialogue de même genre accompagne le changement de tenue des futurs époux par leurs amis réciproques. Une troisième tirade annonce la fin de la toilette. Prè de la moitié des compagnons du jeune homme se séparent de lui, soit avec une jument blanche, vierge ou n'ayant jamais avorté, soit avec un cheval de race - si possible - et s'en vont, en cohue, chantant à tue-tête, vers la maison le l'épouse où ils sont reçus en triomphe. Leur arrivée doit co&iulm;ncider avec le départ du futur époux de son propre domicile pour la chapelle où sa bienaimée aimée ne doit pas le laisser attendre très longtemps.

Le cheval est coquettement orné. Chacune des deux familles lui attache au cou un foulard en soie que son propriétaire emporte en souvenir.

Des parents et des amis se font honneur d'aider la fiancée à se mettre en selle. La monture est tenue par la bride, et marche à petits pas pendant qu'un chantre populaire, de belle voix, fait répéter à l'escorte des refrains appris ou de son propre cru.

Le fiancé, à la porte de l'église, en présence des parents et du prêtre, soulève sa belle par la taille et la fait entrer dans la maison de Dieu sans que son pied touche le seuil...Cela doit signifier qu'à partir de ce moment l'épouse est prise en charge par l'époux qui doit, tout en l'amenant vers Dieu, lui faire franchir lcs obstacles sans qu'elle ait à s'y heurter!

Après la cérémonie religieuse, les nouveaux mariés, se tenant par la main, se dirigent, à pied, vers le domicle de l'époux. La foule, en délirant de joie, les entente. Le propriétaire de la monture fait des chevauchées en leur honneur. Il est d'usage que les mères de famille dont la maison est située sur le parcours du cortège jettent des poignées de riz ou de céréales panifiables sur le nouveau couple.3 Les jeunes filles les arrosent d'eau de Cologne et de parfums. Les maîtres de maison distribuent, à l'assistance qui passe, boissons, friandises et merveilleux souhaits.

La belle-mère accueille sa bru à l'entrée du domicile et lui présente un <<levain>> d'un demi-kilogramme environs. La mariée applique la pâte contre la face extérieure du linteau, y trace un double sillon en forme de croix et y colle quelques pièces de monnaie.

D'habitude, c'est le geste qui suscite le plus de commentaires et de caquets. La prospérité du nouveau foyer est proportionnelle à l'adhérence de la pâte à la pierre. L'harmonie du ménage en dépend.

Que le levian tombe ou s'effrite, même au bout de quelques jours, et dieu de la guerre qu'on surnomme belle-mère d'accuser de fatale <<la créature étrangère>> introduite dans la plus heureuse des familles! Les belles-mères prennent généralement le jour de leur propre mariage comme point de départ de la fortune et du bonheur de la maison.

Les nouvelles mariées font plus d'un v�u secret pour que la Sainte Vierge, saint Daniel Ics -Liident 't fiaiicliir cc cap de bonne esp6rance! La foule attend, haletante, que le geste symbolique soit accompli pour entrer dans un instant de joie surexcitée: fusillade nourrie, chants de triomphe, trépidations sur place, danses, applaudissements, acclamations prolongées et a&iulm;gu&eulm;s comme des sirénes d'alerte!

Au plus fort de cette rage, l'époux saisit sa compagne par la taille, la soulève et la fait entrer dans son foyer sans laisser ses souliers toucher le seuil de la porte. Deux sièges sont dressés sur une petite estrade au meilleur endroit du hall. Les épous s'y assoient, <<s'y exposent>>4 au public qui remplit tous les coins et recoins de la maison en laissant un rond d'espace libre devant l'estrade pour défiler, offrir les vœux et les souhaits.

Dans tout l'Orient méditerranéen, et surtout chez-nous, l'homme est profondément convaineu de l'efficacité des soulitits. C'est pourquoi il en fait à chaque circonstance exceptionnelle de la vie: naissance, baptême, mariage, retour d'émigré, maladie, calamité, décès, semence, plantation, cucillette, récolte. Rien qu'en échangeant une poignée de main pour se saluer, deux villageois se font - au moins - 15 à 25 vœux mutuels.

Le soir de l'Epiphanie, la famille se réunit autour d'un foyer où brûle du bois mort. On prend successivement des morceaux de ce bois dont le bout est une braise et on les frappe doucement contre les bords du foyer. Les étincelles s'envolent par millions. A chaque coup on crie <<men Dieu, donnez à mon père et à ma mère...autant de jours, de mois, d'années,...donnez à un tel autant de livres-or...à un tel autant de joie et de plaisir...>> On laisse libre cours à l'imagination sans avoir peur d'épuiser les stocks du bon Dieu!

Le Le thème habitue! des souhaits, dans les mariages, est la prospérité, l'entente et - avant tout - la fécondité. Et chacun d'exagérer suivant sa fantaisie. S'il pouvait so réaliser un pour mille des vœux d'un seul individu, l'épouse n'aurait pas de postérité qu'Abraham, voire qu'Adam!

Les époux, qu'ils croient ou non à ce qu'on leur souhaite, sont tenus de subir leur calvaire, souriants, accueillants, répondant à tous les vœux par des vœux semblables. Les témoins les aident et répondent pour eux à une partie de ces formalités.

IL n'y a pas de danses spéciales pour la circonstance. Le stock du folklore rythmique est le même pour toutes les joies montagnardes. Il est, cependant, d'usage de demander à la mariée au cours de la soirée d'ouvrir une ronde de danses individuelles. Après s'être très sentiment refusée à cet honneur, elle se léve, fait timidement quelques pas sur la pointe des pieds, balançant les hanches, inclinant le cou, tournoyant un foulard en soie au bout des bras.

La <<bru dansante>> offre le tissu multicolore à sa belle-mère. Celle-ci l'embrasse, danse un peu et passe le foulard à one personne de son choix, généralement au pére ou à la mère de la nouvelle mariée. Danses et choix se poursuivent jusqu'à ce que tout le monde ait eu son tour, sans qu'il soit permis de s'y refuser.

Un peu avant minuit, c'est une nouvelle phase traditionnelle de la cérémonie, appelée Jalwet et 'arouss, transfiguration ou dévoilement de la mariée. Des épées, autant qu'il s'en trouve au village, sont entourées de guirlandes de fleurs naturelles et artificielles. Deux ou trois bougies allumées sont plantées sur chaque lame. L'assistance se met sur deux rangs, face à face, laissant une allée, au milieu, ayant plus ou moins la forme d'un fer à cheval.

Les épées sont tendues d'un rang à l'autre, couvrant le passage d'une sorte de galerie fleurie et lumineuse. Les époux, très lents et majestueux, se lèvent, descendent de l'estrade, tournent plusieurs fois, à petits pas, au-dessous des épées, pendant que la foule répète un chant populaire que je crois être le même dans tout le vieux Liban chrétien.1

Ce n'est qu'après cette corvée ininterrompue pendant plusieurs heures et après le départ du dernier hôte...que les nouveaux mariés, exténués et, parfois, écœurés, peuvent se permettre de penser à eux-mêmes!

Ne doit-on pas s'expliquer la disparition rapide de nos coutumes dont il ne reste que peu de traces, souvent peu de souvenirs même, moins par l'envahissement de la nouvelle civilisation que par la difficulté de lent propre déroulement?

La voiture remplace souvent le cheval. Les fusillades d'<<artifice>> sont légalement interdites. Les gens se font plus économes de leurs cordes vocales. 23 ans sont passés depuis le dernier mariage célébré à Hadeth avec tous les détails et les formes traditionnels que nous venons de décrire.

Les gens suivent généralement une partie de la tradition: un ou plusieurs repas, chez l'époux, plusieurs veillées <<chantantes, dansantes et tapageuse>>.

La vie ne redevient normale qu'aprés la visite rendue aux parents de la nouvelle mariée. Le premier samedi après le mariage, tout le monde est invité chez eux à un dîner copieux. Les invités ont le droit de tromper la vigilance de leurs hôtes, de voler ce qu'ils peuvent pour le remettre au domicile des époux. L'objet volé, à moins qu'il ne soit d'une vileur exorbitante pour la fortune des beaux-parents est laissé, comme supplément aux gratifications accordées à leur gendre.

Mais qu'il y ait mariage ou non, pour passer agréablement la derniére semaine précédant le cirême, beaucoup de villageois entretiennent un mouton, une brebis, une chévre ou un bouc qu'ils tuent au début de la semaine du carnaval. Les parents et les amis sont invités au moins une fois à venir dîner ou déjeuner.

Jadis, les jeunes gens, qui ne se mariaient pas au carnaval, étaient obligés par leurs aînés à passer la nuit du dimanche au lundi des Cendres, dans le four et à porter leur veste à l'envers. Le fiancé, dont un heureux rival épousait la belle...était invité à payer le loyer du four!

Cette semaine voit tout le monde tour à tour rassemblé autour de toutes les tables. Le caractère original du carnaval villageois est qu'il est par excellence la période où l'on a coutume de ne pas se disperser. Les gens de tous âges viennent passer leur veillée ensemble, comme dans une seule et même famille. Les mariages sont célébrés par tous; c'est l'un des moments bien rares où les groupes du village se réunissent dans la même joie. Il est du devoir de tous de participer et de contribuer au bonheur de chacun. Les haines se taisent, les cœurs sont illuminés de la même lumière, brûlent de la même flamme. Il arrive de temps en temps que deux époux appartiennent chacun à un camp; ce qui favorise les échanges et les reunions autour des mêmes tables. On trouve les deux parties se tenant par la main et participant au même cercle de danse. Les personnes âgées viennent au moins prendre une tasse de café ou échanger des souhaits de bonheur.

La joie est grande. Les réunions se prolongent très tard dans la nuit. Les repas se font plus copieux. Les femmes et les jeunes filles prennent part à la frénésie commune. Quand il fait beau, les jours prolongent les nuits: les jeux d'adresse ou de force s'ajoutent aux danses folkloriques. L'énergie musculaire, faute de sports organisés, se dépense dans les jeux.

Dans les dernières années, certaines familles ont pris l'habitude de donner une soirée dansante en l'honneur de leurs enfants qui se marient. La soirée se passe généralement à l'hôtel où les danses européennes sont admises. Des jeunes gens et des jeunes filles, qui ont le don d'entretenir la joie commune sans tomber dans la vulgarité, présentent des numéros divers.

Mais l'hôtel reste jusqu'à présent exclusif; tout le monde n'y vient pas. Les familles pauvres, les personnes âgées, les jeunes filles dont les parents sont encore traditionalistes...restent chez elles et organisent des réunions familiales, sans sortir du cadre des contumes ancestrales. C'est parmi cette catégorie de gens que le repas prend une trés grande importance. Les toasts sont portés à la santé de tous: les absents sont rappelés à la mémoire avec beaucoup d'émotion. Le villageois est très fidèle et très sensible à leur souvenir. Il y a quelques années, on laissait la place des absents libre à table. Leur photo, mise dans le plus beau cadre, est attachée au mur à côté de l'image de la Sainte Vierge ou celle de Saint Daniel. le Patron du village. On dirait qu'ils jouissent d'un culte privé très vivace.

Les morts, eux surtout, ont une large part dans la vie du villiage durant la semaine du carnaval: c'est la semaine des morts, disent les habitants de Hadeth; c'est la semaine où M. le curé fait le plus de recettes car c'est celle où il dit des messes nombreuses pour le repos des âmes de ceux qu'on a perdus depuis quelques années.

Ces dernières coutumes mettent de la modération dans toutes les manifestations de joie de notre petite agglomération. D'où l'absence de tout caractère orgiaque. La religion, le souvenir des absents, la mémoire des morts, le caractère des villageois eux-mêmes contribuent à donner à l'ensemble un cachet d'austérité et de sobriété. Les gens qui boivent jusqu'à en tomber malades n'existent pas. La société en est encore au stade où elle peut imposer sa loi à tous ses membres. Un discrédit common enveloppe tout homme ou tout jeunee homme qui sortirait des limites permises par la bonne tenue et la politesse ancestrales.

Un autre frein est imposé par le temps. Le carnaval et ses joies ne durent qu'une semaine, après laquelle tout rentre dans l'ordre. Le lundi des Cendres - car le jeûne commence le lundi et non pas le mercredi - tous les villageois vont s'agenouiller devant le prêtre qui trace sur leur front une croix avec de la cendre de vigne, en leur rappelant qu'ils ne sont que terre et qu'ils retourneront bientôt à la terre.

Le jeûne est observé par la plupart des villageois. Toute la génération de plus de 40 ans jeûne. Ceux qui sont plus jeunes l'observent avec quelques irrégularités.

Les mercredis et vendredis, on fait abstinence. Tout le village semble être en deuil. Finis les danses de la veille, les chants, les musiques, les jeux très exubérants! La cloche du village annonce tous les jours que midi est arrivé et que l'on peut se mettre à table. Les gens se couchent tôt pour pouvoir résister à la faim du lendemain. Les reserves de vigueur et de santé sont dépensées maintenant, un peu tous les jours, afin de répondre à l'appel de l'Église et d'expier les fautes. Mais cette attitude religieuse n'exclut pas la gaieté simple et le rire habituel des montagnards.

L'état d'âme est celui d'une franchise réconfortante et courageuse qui entretient l'énergie du caractère pendant ces mois de froid et de neige. Car il taut bein de l'énergie pour r&eaucte;sister à toutes les tentations d'amusements modernes qui se présentent!

Hadeth est sur l'une des plus belles collines du Liban. Il est surtout sur la route de la meilleure piste de ski du Moyen-Orient. Pourtant 3 ou 4 personnes seulement pratiquent ce sport.

La raison en est dans le discrédit encore jete par les montagnards sur tout sport étranger à leur vie. Ils voient d'un mauvais œil le départ d'un jeune homme ou d'une jeune fille pour la piste de ski comme pour celle d'un dancing. Il y a encore des jeunes gens qui se refusent à épouser une jeune fille qui aurait dansé.

Nous avons dit plus haut que les jeunes gens dont les familles sont nouvellement institutes en ville reviennent souvent à la montagne pour trouver l'pouse de leur choix, qu'ils refusent de chercher en ville à cause des occasions de sorties ou de danses que les jeunes filles urbaines peuvent avoir.

Ceci permet d'expliquer pourquoi les jeux anciens et le genre de vie montagnarde ont pu résister jusqu'à nos jours dans notre bourg. Telle est la force morale de la société que la jeunesse trouve normal de rester au village même. Grâce à ce fait, les jeunes gens ne s'aperçoivent même pas de leur isolement.

Notre village sort de la ttorpeur à l'approche de Pâques! C'est la féte de la montagne par excellence. Les préparatifs commencent assez tôt, une à deux semaines à l'avance. Tout le monde se prépare moralement et matériellement à la résurrection du Christ.

L'esprit religieux est toujours vivace. Pâques est encore, sans doute, la fête la plus significative du christianisme: c'est, pour un chrétie, le plus étrange des miracles, le plus invraisemblable. Elle marque pour le paysan, qui ne spécule pas, le triomphe d'un créateur fait enfant, fait homme et qui, volontairement, s'est soumis à la mort. C'est le terme de l'épop&eaucte;e que les paysans vivent tous les ans.

La journée de Pâques est naturellement commencée à minuit. C'est la seule journée religieuse qui commencée si t&0circ;t. Les Hadethins ne se lèvent pas a minuit pour No&eulm;l. Il faut voir avec quel empressement nos villageois s'arrachent les fleurs qui ont couvert la croix le vendredi saint. Il faut les entendre se féliciter d'avoir passé un carême heureux. on dirait qu'ils se prennent au jeu religieux et croient vraiment à leur propre résurrection. Le Christ les représente tous.

Le sens de cette fête nous paraît plus clair si nous la considérons comme un transfert de l'ancienne fête de l'éveil de la nature que célébraient les ancêtres sur ces mêmes hauteurs. La nature est bien en éveil à partir de ce moment. Les travaux des champs vont commencer. La resurrection se fait sur tous les plans. Il y a deux jours, on cueillait les premiéres fleurs pour couvrir symboliquement la croix qui figurait le corps du seigneur. Aujourd'hui, le Christ se relève. La nature se relève avec lui, sous un soleil de printemps qui fait fondre les neiges, pousser les herbes et les fleurs.

Les villageois, une fois la messe de minuit termin6c, se mettent au jeu traditionnel de casser les cents durs qu'its ont pris soin de conserver pendant toute la semaine sainte. C'est une joie triomphante qu'6prouve le p-,iysan qu@ind il a gagn6 une demi-douzaine d'(rufs!! Le jeu est bien simple: on tient I'couf dans la main qu'on ferme, en ne laissant paraitre que le bout stir lequel le partenaire vient frapper avec le bout d'un autre (ruf. Celui dont I'(ruf se casse doit en presenter un autre. Le gagnant prend ]es cents qu'il casse.

Cc jeu, auquel vieux et jeunes se livrent de tr&s bon ccour, dure deux A trois jours puis recommence le cycle de I'ann6e.

Car, pratiquement, le premier jlinvier, le jour de I'An qui ouvre I'ann6c civile, ne repr6sente pas grand-chose dans la vie du village. 11 ne marque ni la fin ni le debut d'une activit6 quelconque. 11 tombe en plein hiver. Le froid continue apr&s comme avant. Rien de particulier ne distingue le premier janvier des autres jours de f6vrier, mars on avril.

Mais la journ6c de PAques a une autre signific@ition. C'est la p6riode de repos et de jeux qui se termine, celle des travaux qui commence. 11 y a vraiment une coupure nette dans le temps. Cc qui suivra ne ressemble en rien A cc qui a pr6c6d6.

D6sormais, le paysan se soucie fort de son temps. Et d'une fagon g6n6rale nous pouvons dire: le temps de I'Occidental est une propri6t6 priv e A laquelle it n'est pas permis A tout le monde de toucher. On ne reqoit que sur rendezvous. Lit visite a g6n6ralement une dur6e traditionnelle qui ne doit pas @tre d6pass6e. Le temps de l'Oriental est un domaine public, un bien commtinautaire. L'individu, sous risque d'c'tre impoli, ne peut se refuser A recevoir ]es ens @ n'iniporte quelle heure du jour on de la nuit! L@i visite n'a ni r@,,,Ies ni limites!

Or une exception: le villageois, au printenips, vous donne l'iniprcssion d'@tre plus on moins Occidental. 11 est rarenient libre. 11 ne trouve pas impoli de vous dire <<excusez-moi, je dois aller ouvrir 1'eau, cultiver tel terrain,