V. Garrigues, forêts, friches, élevage

 
L'eéevage, à Hadeth, se fait soit dans les bois de chênes verts au nord et au nord-est, soit dans les terres en friche dispersées à travers les cultures, soit enfin sur les hauts plateaux calcaires, étendus entre le Jobbé et la Békaa. Au sud-ouest, une riclic forét de cèdres joue un rôle important dans l'économie du bourg.

a) Bois de chênes verts

Les pentes calcaires, entre les limites inférieures du vignoble de Hadeth et les bords de la Kadicha, sent couvertes de chênes verts, genêts, genévriers et de divers arbrisseaux et buissons qui font généralement partie de la garrigue méditerranéenne.

Les 97 familles, qui y possèdent des superficies plus on moins vastes, arrivent, malgré la défense de la loi et la surveillance du ministére de l'Agriculture, à en abattre des étendues pour faire du charbon, entretenir les deux ou trois fours à pain de Hadeth, se faire des réserves de bois mort pour l'hiver.

Certains d'entre ces propriétaires louent leur lot aux chevriers pour y passer l'hiver. Ces derniers doivent respecter les taillis en pousse sous peine de fortes amendes et d'une privation définitive de l'usage du bois. Au printemps, ils sont tenus d'en sortir dès que la séve fait poindre les premiers bourgeons.

b) Friche

Certains villageois possèdent des enclos en friche soit parmi les cultures, soit à la périphérie du terrain exploité. On a vu comment ces étendues, de 240 hectares environ, sont utilisées pour fumer le domaine ou pour rapporter un loyer monétaire.1

Pour les mettre en défens, au début du printemps, afin de pouvoir les marchander une fois couvertes d'herbes, les paysans élèvent, sur le pourtour de ces terrains et à l'intérieur, à des distances plus ou moins grandes, des séries de colonnettes2 en pierres grossières. Ces bornes d'interdiction, pour qu'elles soient bien visibles, sont parfois badigeonnés à la chaux vive.

Dans les cas où aucune entente avantageuse ne se fait, le propriétaire du terrain en friche en fauche l'herbe qu'il fait faner sur la terrasse de la maison et conserver à la cave pour être donnée aux vaches en hiver. Par économie, le paysan ne lâche ses propres bêtes dans ses prés qu'après le départ du locataire ou après le premier fauchage ...

c) La forêt de cèdres

Au sud-ouest du bourg s'étend une forêt de cèdres de 5 km2 environ, connue sous le nom de <<Cèdres de Hadeth, de Tannourine et du Jobbé>>3

Ce bois, dont certains habitants de Hadeth, possèdent, en plus de la cote du village, 500 hectares environ en propriété privée, est, en principe, un bien communautaire des agglomérations du Jobbé, jusqu'à Bécharré inclus.

C'était, dit la tradition, une immense forêt. Tout le monde en profitait, sans restriction. Des étrangers y ont, un jour, installé une station pour exploiter le bois, extraire la résine pour la transformer en goudron. Les différents villages se sent appelés, à la voix du tocsin, pour chasser ces intrus et affirmer leurs vieux droits sur cette richesse.

Puis l'on s'est aperçu des abus de coupe qui risquaient de détruire la forêt en même temps qu'ils engendraient des conflits entre villages frères. En vrais Maronites qu'ils étaient, les paysans ont confié la garde de lent forêt au Patriarche qui, depuis lots, nomme un garde forestier et délivre, contre une taxe minime, des autorisations de coupe après avoir examiné la légitimité et la nécessité de la demande.

Historiquement, ce bois devait avoir le même sort que les autres forêts du Liban dont nous parlerons en détail dans les pages suivantes.

Quelle sera la destinée de la forêt, quand, bientôt, le cadastre viendra y poser ses jalons? Personne, encore, n'en parle, du moins ouvertement.

Les Hadethins, ainsi que les autres paysans du Jobbé, y voient une planche de salut en cas de nécessité. Un tronc, coupe, équarri et vendu peut tirer la famille d'un embarras pécuniaire inattendu.

Les battants des portes et les volets des fenêtres, les armoires, les sièges rustiques, les bancs de l'église et des deux écoles en sent faits. Les buttes qui abritent gens et animaux à la montagne pendant l'été sent construites à l'aide des branchages des cèdres. Les branches, d'une certaine grosseur, sont utilisées pour le chauffage d'hiver. En automne, pour rentrer sa provision de bois mort, le paysan les coupe à la hache les jours de loisir, les transports à dos d'âne et les accumule dans le sous-sol. Le bois de cèdre flambe bien, dégage peu de fumée. Il est préféré au charbon de bois qui est, para&icric;t-il, moins chaud pour ce climat d'hiver montagneux. L'anthracite n'est pas connu à Hadeth. D'ailleurs, dans tout le Liban, on n'en consomme qu'exceptionnellement.

d) D'autres forêts

La chaîne de montagnes occidentales du Liban forme un haut plateau karstique de 150 km' environ. Ce karst était, comme le reste du pays, convert de forêts épaisses. Cèdres et sapins y étaient coupés, 3.000 ans avant le Christ, pour la construction des palais, flottes et chars de guerre babyloniens et égyptiens. Plus tard, un traité fut passé entre le roi Salomon et son voisin Hiram, roi de Tyr. Experts, main-d'�uvre, bois de cèdres et de cyprès furent envoyés, du Liban, édifier, à Jérusalem, un temple à Dieu4 et un palais à Salomon.5

<<De ces bois, les souverains furent toujours jaloux. Quatre essences leur en auraient été reservées dès les temps phéniciens. C'était le sapin, le cèdre, le genévrier et le cypr&grave;s ou le pin. De quelques documents d'âge hellénistique, il résulte que les bois de cette nature, qui servaient aux constructions navales et à la charpente, étaient sous le contrôle direct du souverain.>> <<Quant aux Romains, ils n'eurent qu'à hériter du droit souverain de leurs devanciers sur les quatre essences de bois précitées.>>6

Les numéros des parcelles, les indications des limites et les <<defense de couper>>7 sont toujours visibles sur de nombreux rochers, du nord au sud du haut plateau.

Les bergers, à la recherche d'imaginaires trésors, démolissent, tous les ans, quelques-uns de ces écriteatix et leurs supports!

Malheureusement, avec les derniers vestiges des troncs coupés dans la seconde moitié du XIXe siècle et durant la guerre de 1914-18. pour entretenir les chaudiéres des trains et les fourneaux des armées égyptiennes et ottomanes, bientôt auront disparu ces soigneuses écritures latines, ultimes témoins d'une <<providence humaine>>!

En l'absence d'une legislation écrite, le droit de propriété sur ces hauteurs, mal défini depuis des siècles, est, de temps à autre, une source de conflits sanglants entre les usagers, ressortissants de différents villages limitrophes des dernières pentes accessibles à l'habitit humain, de part et d'autre de la montagne.

C'est à la suite de plusieurs rixes et escarmouches entre moutonniers et chevriers de divers districts plus on moins arbitrairement intéressés à la question, que les villages du Jobbé, peu avant la premiére guerre mondiale, se sont coalisés et ont envoyé des volontaires armés défendre les pâturages qui prolongent leurs terroirs respectifs vers le nord-est et sud-est.

Il y eut de petites rencontres et quelques victimes sur lesquelles l'imagination pastorate a brodé des légendes qui exaltent respectivement la valeur de ceux qui sont partis.

Une entente s'est faite grâce aux bons offices des notables et surtout du Patriarche maronite. Des zones déterminées furent attribuées d'une façon <<provisoirement définitive>> à chaque groupe de village ayant participé à la lutte...

C'est ainsi que, dans l'attente d'une mainmise de l'Etat en vue de reboiser ces espaces dénudés, les municipalités, dont celle de Hadeth, s'entendent, tous les ans, pour mettre aux enchères publiques l'adjudication de leur part, Celle-ci s'étend sur environ 7 km de profondeur vers le sud-est et 5 km du sud-est au nord-est.

Les propriétaires des troupeaux payent à l'acquéreur, par tête de bétail, une somme variable suivant la durée de leur séjour prévu en montagne.

Le siège patriarcal, sans avoir des droits déterminés, peut envoyer ses propres troupeaux paître sans rien payer.

Thym, lavande, menthe, romarin, seigle, bruyère, fausse avoine, avec une infinité d'herbes rampantes ou à épi, verdoient de mai à juillet et cèdent la place, assez rapidement d'ailleurs, à une végétation épincuse, mieux adaptée à la sécheresse.

C'est pour cela que le mouton gagne la montagne et en descend toujours un à deux mois plus tôt que sa s�ur la chèvre, plus apte à s'accommoder de l'épine et de la racine qu'elle ramollit en les battant de sa patte de devant.

e) Elevage

Hadeth est une position clé sur le double parcours de la plupart des troupeaux qui jouissent des alpages du Jobbé à partir de Bécharré. Une vingtaine de familles bédouines,8 rescapées de tribus irako-syriennes, désagrégées ou détruites, passent lent hiver au Koura et leur été à la montagne. On les voit, par deux fois plusieurs semaines chaque année, avec une centaine de chameaux et d'ânes portant tentes noires, bagages, femmes et enfants, accompagner leur menu bétail comptant à peine trois mille têtes.

Ces semi-nomades, peu scrupuleux et peu respectueux de la propriété individuelle du sédentaire, causent des dégâts assez importants aux blés et orges en herbe, au printemps, à la vigne en grappe, en automne. Gendarmes, gardes champêtres et propriét@tires, tous alertés, arrivent à peine à les contenir par un nombre respectable de procés-verbaux, d'amendes ou d'indemnités, sitôt exigées, sitôt acquittées!

Désireux d'avoir la priorité sur les Bédouins pour les loyers des prairies privées, les chevriers et gardiens de moutons du pays ont plus de tact envers leurs hôtes de passage: leur bétail, d'environ 2.000 tétes, pour une quinzaine de familles, suit, à peu près, les mêmes itinéraires et il est élevé d'après les mêmes techniques primaires que celui des Bédouins. Ils n'ont pas de chameaux, cependant.

Le cheptel particulier de Hadeth comprend des chèvres et des moutons qui sont de faible importance dans son économie et dans sa vie. Leur nombre est bien limité. Il y a seulenient trois familles qui vivent exclusivment de l'élevage de la chèvre et une seule de celui du mouton. Ces quatre familles, qui sont propriétaires de leurs troupeaux, totalisent 14 personnes. Leur menu bétail ne dépasse guère 700 têtes. Leur vie n'est pas enviable.

Ce qu'ils gagnent en argent, ils le perdent dans l'éducation de leurs enfants qui sont arrachés à l'école pour garder les chevreaux ou les agneaux. Les soucis quotidiens ne manquent pas: le garde champétre n'est généralement pas très aimable envers ces bergers peu scrupuleux quand ils passent à côté d'un joli champ de blé ou d'orge!

Les bergers doivent suivre lent troupeau, été comme hiver. Ils ne reviennent que rarement au village. L'été, ils sont à la montagne, dans les pâturages du domaine de Hadeth, ou bien sur les plateaux calcaires bien loin vers le sud-est. L'hiver, ils sont ou bien dans les bois de chênes verts au nord du village, soumis aux intempéries, ou bien dans un village des altitudes, moyennes ou basses du pays. Le mouton ne peut supporter le froid excessif. La chèvre tombe malade pendant les chaleurs d'été. La nuit, le loup cause de désagréables surprises. Le jour, l'homme en joue souvent le rôle!

De moins en moins, les propriétaires des champs tolèrent la présence de la chèvre ou de la brebis. Le garde champêtre les poursuit sans cesse de son sifflet strident. Les procès-verbaux, les contraventions, pleuvent sur leur tête de tous côtés!

A part les difficultés, nos moutonniers et chevriers mènent la vie antique de tous les pasteurs de l'Orient méditerranéen: le mouton, race paisible, craintive et faible, exige plus de soins que de surveillance. Les bergers doivent être à son service nuit et jour. S'il fait froid, il faut l'amener sur le littoral. S'il fait chaud, il faut le faire paître la nuit. Dans tous les cas, il faut lui faire éviter les pentes trop raides, les endroits trop rocailleux, les marches trop longues! La soif l'épuise au bout de peu de temps.

Mais il est une source de profit indéniable. La laine est tondue tous les ans. Le prix en est toujours élevé. La peau se vend plus facilement que celle de la chère. Le lait de brebis, s'il n'est pas autant apprécié par les villageois que le lait de chèvre, donne du meilleur beurre, plus gras et mieux vendu. Le fromage est consommé frais. On ne le conserve que quand il est abondant. La plus grinde partie du lait est consacrée au beurre. La technique de transformation est encore primitive: c'est dans une jarre, une outre en peau de chèvre ou en toile épaisse qu'on baratte. Les produits qu'on retire sont très limités en nombre et médiocres en qualité.

Les chèvres, elles, sont pires que les moutons. La chèvre est turbulente. Elle est difficile à Il lui faut des gardiens vigilants et robustes pour pouvoir la bien surveiller et résister à la fatigue, tout à la fois.

L'existence des trois chevriers du village, en face d'un seul moutonnier s'explique par le fait qu'il y a des espaces incultes, aux environs du village, qui sont inaccessibles au mouton.

D'autre part, si le fromage de chèvre n'est pas très prisé par les commerçants de la ville, il est, par contre, consommé avec beaucoup d'appétit par les villageois eux-mêmes. On le conserve dans les outres en peau de chèvre, pelées et traitées spécialement pour cela. Ces outres sont mises dans des tas de pierres pendant tout l'été. Ni serpents, ni rats, ni fourmis ne s'en approchent à cause, paraît-il, de l'odeur de la présure1O avec laquelle on fait coaguler le lait avant de le battre et de le presser en morceaux ronds et gros comme le poing. A la fin de l'été, les marchands viennent eux-mêmes acheter sur place toute la production. Ils arrivent, ainsi, à abuser de l'ignorance des éleveurs qui n'ont pas le temps d'aller se renseigner sur les prix du marché.

La viande de chèvre était, jusqu'à une date récente, mieux vendue que celle du mouton. Elle a perdu de sa valeur depuis que les estivants ont commencé à venir en nombre et à réclamer de la viande de mouton. Ce dernier n'arrive cependant pas à éliminer la chèvre, parce que les villageois la lui préfèrent.11

A côté de l'élevage exclusif auquel ces quatre familles se consacrent, il y a l'élevage de la vache laitière, du b�uf de labour, de l'âne pour le transport, du mulet et, plus rarement, de la jument.

Rares sont les familles qui ne possèdent aucune bête. L'animal est traité avec soin durant l'hiver. Au printemps, le travail commence et il est, comme son propriétaire d'ailleurs, appelé à prendre le chemin des champs. L'été, il broute l'herbe fraîche et supporte son sort de bête de somme.

Faut-il signaler que poules, poulets et coqs grouillent autour de toutes les maisons de Hadeth? On en égorge à toutes les occasions exceptionnelles de la vie: un hôte de qualité, un parent revenu d'un long voyage, la venue d'un enfant (mâle surtout), les grandes fêtes, les quelques invitations qu'on fait pour le plaisir de ses amis...

Les �ufs sont one nourriture de tous les jours. On les consomme durs et au plat. Mais ils sont peu utilisés dans des mélanges d'aliments.12


1Voir plus haut, pp. 34-35.

2Qamu.

3Arz el hadeth wa Tannourine wa l-bliad, Blain étant le nom de la réion du Jobbé dans le dialecte local.

4III Rois, V et V.

5Id., VII.

6B.T., p. 114.

7Cf. Michel Salemé, dans la Revue de Gégraphie de Lyon vol. XXXII (1957), no. 2 p. 122. Il est le premier à interpréter une inscription romaine comme une défense de couper. Les limites et les numéros, nous en avons vu nous-méme.

8Nous nous excusons de passer hâtivement sur le </<cas>> de ces Bédouins, nous promettant, cependant, de leur consacrer une enquête ultérieure. Nous signalons une intéressant étude sur <<L'Élevage au Liban>>, par M. Michel Salamé, dans la Revue Géographique de Lyon, 1955, No. 2 pp. 6 à 101.

9Darff, pl. drouggs. Le trou pratiqué dans le tas de pierres pour mettre les drouffs = berdawche.

10Majbné.

11Voir le chapire suivant.

12Cf. plus loin, régime alimentaire du village, p. 63.